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LA PLAISANCE C'EST LE PIED

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"Trop heureux les agriculteurs
S'ils connaissaient leur bonheur. " (1)

Ces 2 vers de Virgile (env. 30 avant J.C.) montrent qu'il avait déja tout compris à la plaisance et que les terriens étaient bien inspirés de ne pas mettre le pied sur un bateau.

Car il faut bien admettre que le bateau à voiles est le moyen de transport le plus lent, le plus inconfortable, pour aller d'un point où l'on a pas grand chose à faire jusqu'à un endroit où l'on a franchement rien à foutre !

Avant lui Homère (800 ans avant notre ère !) avait nettement posé le problème en quelques 27.800 vers ! Son héros, Ulysse, avait passé les meilleures années de sa vie à courir après d'hypothétiques sirènes, à se faire avaler par de monstrueux courants, au milieu d'effroyables tempêtes. Pendant ce temps, son adorable épouse, Pénélope, l'attendait à la maison résistant dignement (c'est du moins ce que qu'affirme Homère...) aux assauts des prétendants à la succession de son époux.

De nos jours, il est d'une pratique courante de perdre un mois de vacances, qui aurait pu être consacré à un repos bien mérité, à border des voiles pour les choquer un moment plus tard (ou inversement), à mouiller une ou des ancres pour les relever peu de temps après, à tenir sans cesse une barre de bois à la main pour empêcher le bateau d'aller se mettre au sec sur un rocher. Et il y en a beaucoup !

Quel casse-tête ! Alors qu'il serait si simple de s'asseoir devant un pastis au bistrot du port.

C'est d'ailleurs ce qu'a parfaitement compris votre délicieuse femme qui vous attend tranquillement sur le quai assise sur une bitte, d'amarrage. A ce que l'on peut supposer, car le marin en mer ignore ce qui se passe à terre.

Arrosé d'eau de pluie, douché d'eau salée, brûlé par le soleil, ballotté par la houle, secoué par le clapot, le plaisancier se réfugie parfois dans la pêche. Il dépense alors des fortunes en leurres, rapalas, moulinets, cannes, et autres apparaux... pour tenter d'attraper des poissons qu'il n'achèterait pas sur un étal de poissonnier. Et s'il a la satisfaction d'en avoir au bout de sa ligne elle est de courte durée. Car il lui faudra, par amour propre, les manger. Alors qu'au fond il déteste le poisson s'il n'est pas accompagné d'une de ces merveilleuses sauces que l'on ne déguste que dans les restaurants 4 étoiles.

Pourtant année après année il consacre une part importante de ses revenus pour ces quelques jours passés à jurer contre les éléments, à réclamer moins de brume, plus de soleil, moins de courant, moins de vent, plus de vent, dans cette direction là plutôt que dans telle autre. Alors que la Pub à la télévision fait tout son possible pour l'informer quotidiennement sur la façon dont il aurait pu, ou dû, dépenser son argent s'il avait un peu de jugeote.

Oui, vraiment, la plaisance c'est le pied !

Pour vous , Mesdames, qui après d'effroyables jeûnes destinés à vous faire perdre les mini-kilos si joliment (2) installés sur votre taille ou sur vos hanches, le bilan est encore pire. Vous vous retrouvez engoncées dans des pantalons et des vestes informes qui vous font perdre des années d'efforts journaliers, et vous font gagner 10 ans en vous transformant en vulgaire sac de pomme de terres.

Quel plaisir que de mettre le pied sur le quai du port le cheveu collé, le nez rouge, les ongles cassés, le sweet qui n'a plus de forme et le pantalon qui tournicote, grelottante encore des embruns d'il y a un quart d'heure.

C'est à ce moment précis qu'une petite blonde bien manucurée, perchée sur ses hauts talons, soigneusement maquillée sur son teint bronzé, échange une oeillade admirative avec votre homme qui fier comme un paon met pied à terre comme une star d'hollywood descend son escalier.

Il y a des jours où vous feriez mieux de rester couchée et c'est d'ailleurs une des variantes de ce que je proposais plus haut.

Oui vraiment, la plaisance c'est le pied !

Et la régate c'est pire !

Il y en a même où l'homme est un Requin pour l'homme !

On y voit couramment des Requins en attaquer sauvagement d'autres à coups d'étraves dans le but inavoué de les transformer en petit bois de chauffage.

Ainsi dés le coup de canon donnant le signal des réjouissances, chaque bateau court après le bateau qui le précède pour tenter de l'enfoncer tout en essayant lui-même d'échapper à celui qui le poursuit.

Le seul qui soit un peu à l'abri de ces attaques sauvages est celui qui est tout à fait en tête. C'est donc une place très disputée.

Comme les régates sont soumises à l'autorité sans faille du président du comité de course, elles ont donc lieu par n'importe quel temps. Normalement, lorsque le vent souffle comme un dément et que la mer est démontée vous resteriez bien au chaud sous votre couette, doucement bercé par un ressac lointain. Et bien non, il vous faut enfiler votre ciré et larguer les amarres sous des trombes d'eau, avec les voiles qui claquent, et le vent qui siffle lugubrement dans les haubans.

Et pendant 4 ou 5 heures de rang vous allez être soumis aux douches d'eau de mer sous pression, les muscles tétanisés à force d'être au rappel, à la merci d'une bôme qui n'a qu'une ambition : vous assommer au prochain virement de bord.

Ne parlons pas des empannages sous spi qui vous envoient au tapis, les barres de flèches dans l'eau, et vous rappellent brutalement que les poissons sont vos lointains ancêtres et que vous êtes priés de les rejoindre de toute urgence.

Vous sortez de là comme d'un lave-linge grandeur nature... et même pas essoré.

Alors trop heureux de vous en être sorti à bon compte, une fois le bateau amarré le long du catway, vous arborez le sourire de satisfaction de celui qui ayant risqué gros est bien content d'être encore vivant. Sans autres contusions qu'une multitude de coups de toutes natures infligés par une créature du monde marin, sauvage et sans pitié. Tout bien pesé, je pense que vous ne vous en apercevrez que le lendemain car à force de réclamer de l'eau aux bouées (Delôôôô, Delôôôô...) vous passerez votre soirée à consommer des boissons où l'eau en question sera en très faible proportion. Ce qui fait que le matin, secoué par votre réveil-matin, vous ouvrirez un oeil encore tout embrumé par les vapeurs éthyliques de la veille. C'est alors que vous saisirez l'étendue des dégâts en dénombrant les endroits où la couleur de votre peau oscille entre le jaune et le mauve en passant par le vert et le bleu comme une viande avariée.

Ah,vraiment, la plaisance c'est le pied !

Mais si vous aimez glisser sur l'eau dans un frôlement de soie, si vous aimez vous sentir comme libéré de la pesanteur, si vous aimez le goût du sel sur vos lèvres, si vous aimez sentir les embruns sur votre peau, si vous aimez sentir le vent dans vos cheveux, si vous aimez vous dorer au soleil avec "moins que rien de costume" (comme dit Brassens), si vous aimez vous confronter aux éléments, si vous aimez la liberté que procurent les horizons infinis, alors votre place est sur un voilier.

Car vous ne trouverez rien de tout cela dans votre supermarché favori. Cela n'existe dans aucun rayon. Ni en bidon de 5 litres, ni en emballage sous vide assujetti d'une date de péremption.

Et même si la voile sauvage vous est parfois recommandée par la faculté de médecine en la personne de votre médecin de famille, n'allez pas vous imaginer que la Sécurité Sociale va vous rembourser l'entretien de votre First 35S5 ou de votre Requin.

Même en réglant le ticket modérateur.

Oui, vraiment, la plaisance c'est le pied !

Jean Thierry, Larmor Baden, Octobre 97.

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1) O fortunatos nimium / sua si bona norint agricolas.

C'est par ces 2 vers que Virgile commence un long poëme consacré aux démèlés entre Enée et la mer Egée. Compte tenu des nombreux malheurs dont il est la victime on peut difficilement penser qu'Enée soit le premier des plaisanciers.

2) L'auteur souhaite formuler içi une opinion personnelle. Il trouve ces kilos le plus généralement charmants et regrette que la presse féminine incite les femmes à se voir en 2 dimensions. C'est assez normal pour des photos, mais insuffisant pour une compagne.

 

 
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