C'est avec plaisir que je réponds à la demande de
nos amis Requinistes de retracer l'historique du REQUIN en France. J'aime
ce bateau et j'ai tellement été mêlé et pendant longtemps aux destinées de cette
série que le lecteur voudra bien m'excuser par avance si j'y mêle des souvenirs
personnels.
Première partie de 1931 à 1936.
Les plans du HAJ ont été dessinés par
l'architecte Finlandais Gunnar L. Steinback en octobre 1931 à une
époque où la voile, sur le plan international, était presque exclusivement pratiquée
sur des bateaux à quille dans le cadre de jauges internationales relativement bien
établies : 6 M, 8 M, 6,50 M, 8,50 M. A l'intérieur de chaque jauge les
architectes faisaient assaut d'ingéniosité et la victoire revenait généralement aux
bateaux les plus récents. Dans ces conditions seuls les plus fortunés étaient capables
de relever les défis, les sponsors n'existaient pas !
L'idée naquit alors de profiter de cet acquis technique en mettant
sur le marché des monotypes dont les caractéristiques s'inspireraient des meilleures
réalisations connues. Presque simultanément trois architectes scandinaves dessinèrent
le TUMLAREN (norvégien), le DRAGON (suédois), le REQUIN
(finlandais). Les trois bateaux avaient pour vocation d'être le 6 M du pauvre...
Ces bateaux profonds et étroits destinés à tailler de la route au plus près dans des
eaux abritées, au clapot court étaient dotés de plans de voilure inspirés des
dernières théories de Manfred Curry, longues coques basses sur l'eau avec voilure en
forme d'aile centrée au milieu du bateau ce qui représentait une révolution par rapport
aux bateaux que nous connaissions alors avec leurs longues bômes et leurs bouts dehors et
leur surcharge de toile.
Le bateau finlandais différait de ses frères du fait qu'il avait
une quille rapportée ce qui supprimait le travail délicat du retour de galbord. Cette
disposition était certes une atteinte à la pureté des lignes mais représentait une
économie de 600 heures sur le temps de construction.
En France, à cette époque, la voile en était encore à l'âge où
chaque club lançait son bateau. A côté des bateaux de jauge se développait un peu
partout, de petites séries bien adaptées aux conditions de navigation locales : le monotype
de Villefranche, le monotype d'Arcachon, le monotype de la Loire,
le CHAT, le MMM, le 12 M2 du Havre, etc...
Ce n'était plus le bateau construit à l'unité mais pas encore la
construction en série. Chaque futur propriétaire pouvait encore apporter à son bateau
sur le chantier local le coup de pouce qui dans son esprit devait permettre de gagner. Un
grand pas fut franchi vers l'acceptation de la monotypie avec l'arrivée en France de
séries importées des Etats-Unis, le STAR, puis le SNIPE
qui fit redécouvrir en France l'attrait du dériveur léger, et aboutit en 1932 à la
victoire de Jacques Lebrun aux jeux olympiques de Los Angeles.
C'est au même moment que plusieurs yachtmen de renom, parmi
lesquels Jean Savoye et Alfred Parent étaient à la recherche d'un
monotype de course habitable. Leur but était d'avoir :
On retrouve dans ce programme l'idée maîtresse d'une série
adaptée aux conditions de navigation locales.
Il n'existait alors en France aucun bateau semblable, par contre,
comme nous venons de le voir dans les pays nordiques trois séries répondaient à cette
formule. Après de nombreuses consultations, analyse de prix avec les chantiers et les
importateurs, le HAJ fut choisi et devint le REQUIN
français. Le choix s'averra le plus économique d'autant que le gouvernement Finlandais
avait institué une prime à l'exportation et qu'une compagnie de transport finlandaise
faisait escale à Rouen.
Ainsi en 1935 débarqua, à Rouen, le premier REQUIN. Vite cinq
autres bateaux le rejoignirent, une classe était née et une association de
propriétaires créée. Son premier président en fut le Docteur Chatel et le
secrétaire Maître Parent, les membres étant M.M. Tauvel, Clamargeran,
Coutisson et Redele.
Le premier travail de cette équipe fut de modifier, pour la France,
le plan de voilure en portant sa surface de 19 à 25 M2. Ceci fut possible en augmentant
de 1m60 à 2 m le triangle avant et en portant de 3m40 à 3m80 à la ralingue de bôme.
Le premier règlement de construction du REQUIN date de 1935 et à
partir de cette date le chantier ABO qui en Finlande construisait les REQUIN les
livra avec les modifications demandées par la France.
Plusieurs articles parus dans le "YACHT" et la "REVUE
NAUTIQUE" parlèrent des REQUIN, qui, à Buclair au C.V.S.M. puis au Havre et Fécamp
firent sensation tellement ils étaient différents des silhouettes habituelles.
Mon premier contact avec le REQUIN eut lieu à l'automne 1935 à
l'occasion d'un match sur CANETON BRIX entre le Cercle de la Voile de la Seine
Maritime et mon club de Rueil.
Il y avait là, face au Club House de Buclair deux REQUIN au mouillage et
nous devions tirer des bords entre ces bateaux à l'abri du courant. J'ai eu le temps de
les admirer, l'un était le "SIRE DE FRAMBOISIE", l'autre le "BARACUDA".
Tous les REQUIN devaient à cette époque porter le nom d'un REQUIN,
le "SIRE DE FRAMBOISIE" en était un, mais de la Finance !!
Sous le Club House quatre autres coques étaient en position
d'hivernage et il me fut possible de les caresser avec envie.
Dès cet instant je fus conquis et sur mes cahiers de classe les
coques de REQUIN se mirent à fleurir...
Il fallut attendre la demi-journée de congé scolaire
supplémentaire octroyée à l'occasion des obsèques du roi Georges V pour que
nos parents nous emmènent, mon frère et moi, avenue des Champs-Elysées, au 2ème
étage, à la "REVUE NAUTIQUE" pour commander notre REQUIN.
Il sera en acajou et son prix sera de 18 800 francs soit un
supplément de 5 000 francs par rapport au prix en sapin du nord. Il sera livré en mai
1936 à Rouen et le cargo qui l'amènera sera le "SUONEN POIKA".
Pierre Toureau